Pourquoi confier des rôles sociaux aux 3-6 ans sur les rencontres de l’opération « À l’USEP, la maternelle entre en jeu ! » ? Les réponses de Fabrice Delsahut, maitre de conférences à l’École supérieure du professorat et de l’éducation (Éspé) de Paris.
Fabrice Delsahut, quelle est la plus-value d’une rencontre USEP pour des enfants de maternelle ?
La rencontre USEP permet d’inscrire une pratique motrice dans un cycle d’activités, autour des jeux d’opposition par exemple. Elle permet aussi l’occasion de sortir du cadre rassurant de l’espace scolaire : se déplacer dans un gymnase, faire de nouvelles expériences sociales… Cela aide à grandir.
Pour l’enseignant, c’est aussi un outillage intellectuel et matériel. Sans se substituer à la formation initiale et continue, préparer et participer à une rencontre USEP aide à mieux appréhender les apprentissages et les enjeux éducatifs propres à cet âge.
Les rencontres maternelles proposent aussi une initiation aux rôles sociaux : l’enfant est à tour de rôle « maître de cérémonie », du « temps », du « matériel », de « la marque » et du « jeu ». Mais les enfants de 3 à 6 ans ne sont-ils pas trop jeunes pour que cela fasse sens pour eux ?
Au contraire, cela entre dans la logique de développement des enfants de cette tranche d’âge, tout en répondant aux attentes du système scolaire ! les programmes mentionnent que l’apprentissage des rôles sociaux est nécessaire, et invitent à les expérimenter.
Les rôles sociaux contribuent à la fois à l’apprentissage moteur et au développement socio-culturel des enfants, à un âge décisif. D’une part, ils permettent en effet à l’enfant de prendre du recul. Or le fait d’observer, de juger, de verbaliser, est essentiel pour fixer la mémoire motrice. D’autre part, ils permettent d’« incorporer » chez le jeune enfant des règles de comportement, des règles du jeu, des règles de vie. Cette prime éducation est déterminante dans la formation d’habitus sociaux. Même s’il n’a que 3, 4 ou 5 ans, l’enfant est dans un processus de socialisation. Alors oui, cela fait sens.
C’est pour lui un premier apprentissage de l’autonomie et des responsabilités…
L’autonomie et la mise en responsabilité génèrent des émotions que l’enfant va devoir apprendre à contrôler. Et la construction de l’identité passe par les différents rôles que l’on endosse.
Favoriser l’expression, la communication, permet en outre de lier l’affectif au gestuel, ce qui favorise le développement cognitif. Même si, dans mon enseignement en Éspé, je suis centré sur la motricité, c’est un être global que l’on cherche à former ! Cette verbalisation est une médiation pour accéder au sens que vous évoquiez dans votre question précédente. Communiquer pour mieux comprendre ce que je ressens, ce que je vis… Et ainsi ne pas subir les choses, mais être acteur.
Pour un enfant, remplir un rôle social sur une rencontre USEP, c’est aussi adopter une attitude posturale qui traduit des comportements d’écoute, de concentration, d’attention. Cela prend encore davantage de sens aujourd’hui, avec ces générations de zappeurs qui évoluent dans un environnement où tout va si vite. Le rôle social invite à se poser : pendant un temps, vous allez observer, regarder, réfléchir… Et c’est directement transférable en classe : écouter des consignes précises, cela s’enracine aussi à travers des rôles sociaux.
L’enfant doit également affirmer une certaine autorité, expliquer ses décisions…
Il y a en effet confrontation des points de vue. Alors que l’acte moteur est souvent individualisé, singularisé, les rôles sociaux favorisent un travail de « décentration », en l’invitant l’enfant à « se placer dans la perspective d’autrui ». La relation au pouvoir est forte également, comme l’illustre le choix des termes caractérisant les rôles sociaux dans les rencontres USEP : le « maître » du jeu… Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’en investissant l’enfant de ce pouvoir on est dans sa logique – l’égocentrisme propre à cet âge –, mais il s’agit d’un pouvoir mis au service des autres. Cette « décentration » dans le rapport d’autorité permet de construire l’altérité.
Vous avez mentionné des émotions liées à l’autonomie et la responsabilité : quelles sont ces émotions ?
L’autonomie répond au souhait de chaque enfant de grandir, d’agir seul, de faire les choses par lui-même. Mais cela est source de stress, de doute sur ses capacités, d’où l’importance de la présence bienveillante de l’enseignant à ses côtés. Cette mise en responsabilité est source d’émotions, entre crainte et excitation. Et puis, être maitre du jeu ou du temps, c’est avoir entre les mains le sifflet, le sablier. Ce sont des enjeux matériels et symboliques très importants pour les enfants.